Jean-Elie NETTLESHIP: Pour vous inciter à regarder de plus près chaque portrait ! Il faut, vous l’avez compris, chercher les détails révélateurs du métier de chacun: celui-là est costaud et tout pâle, c’est sûrement le boulanger ; celui-là a le cuir dur, c’est sans doute l’ostréiculteur ; celle-ci a le regard inquiet de l’assistante sociale tandis que celui-là nous regardent un peu de haut, c’est évidemment l’ingénieur ; tiens, le vieux a perdu deux doigts, serait-il ancien légionnaire ?
ARTicle : Il est quand même difficile de deviner le job de certains de vos modèles !
N : C’est vrai, mais je ne veux pas faire des portraits stéréotypés, style le sérieux docteur au stéthoscope, le cuistot foutraque au faitout fumant, le paysan taciturne sur son tracteur patraque !
ARTicle : Peut-être fallait-il choisir un autre titre alors ?
N : Disons que j’aurai dû y ajouter un point d’interrogation : « La gueule du métier ? » Il est vrai qu’un travail, à la longue, a un impact sur le visage et le corps, donc certains détails d’un portrait peuvent en effet évoquer le métier de la personne, mais, pour moi, un bon portrait devrait nous inciter à deviner le caractère de la personne, d’imaginer son passé et son présent dans toute sa complexité. Un bon portrait est comme un miroir : on doit s’y reconnaître, y voir notre humanité commune avec la personne photographiée. Je pense que, par respect pour la personne que je prends en photo, je ne dois pas forcer le trait ; je montre parfois ses outils ou le lieu de travail, mais ce qui compte plus c’est l’expression du visage, les mains, la posture, parce que je veux montrer qui est la personne, pas la personne seulement en tant que « untel » qui pratique tel ou tel métier. Un portrait raconte un peu la vie de la personne, dont le métier n’est qu’une partie. Ce sont avant tout des personnes dont on imagine une vie, une personnalité, une histoire.
ARTicle : Donc, ce n’est pas vraiment une expo sur les métiers ?
N : Si, quand même, parce que les modèles ont bien voulu être pris en photo, mais, c’est vrai, en tant que « boulanger » ou « artiste potière », etc. C’est moi, en fait, qui veux que le spectateur face l’effort d’aller au-delà de l’étiquette du métier, qu’il essaye de comprendre, d’imaginer, la vie de la personne, pas que du « boulanger ».
ARTicle : Certains des modèles n’ont pas l’air très joyeux…
N : Vous savez, ils travaillent très dur, ne gagnent pas assez, se sentent isolés voire dévalorisés parfois. Malgré tout, ils sont plutôt fiers d’être ce qu’ils sont dans la vie, même s’ils trouvent que, parfois, leurs métiers sont contraignants. Avec cette expo, je veux aussi questionner nos idées reçues négatives concernant les métiers. Je crois qu’il n’y a pas de sot métier, que nous ne devons pas juger les gens d’après leur métier. Je pense aussi que le travail n’est qu’une partie de la vie des gens.
ARTicle : Cela fait-il de vos photos des œuvres engagées ?
N : Je ne sais pas, peut-être. En tout cas, prendre ces personnes en photo m’a fait réfléchir à l’importance que l’on donne au travail dans notre société.
ARTicle : Le boulot, c’est la santé ?
N : C’est moins pire que de ne pas avoir de travail du tout ; le chômage, c’est la mort, on n’existe pas aux yeux des autres. Mais le boulot, c’est quand même galère pour beaucoup de gens, d’autant plus que les gens ont tendance à prendre de haut ceux qui ont un métier manuel ou mal rémunéré.
ARTicle : Vos photos évoquent en quelque sorte les difficultés liées au monde du travail.
N : Surement, mais je veux montrer aussi que ces personnes ont, malgré tout, de la dignité, de la fierté, de l’humour, du courage…
ARTicle: C’est plutôt réussi…
N : Merci !
ARTicle : Pourquoi avez-vous choisi le noir et blanc ?
N : Parce qu’avec le noir et blanc, ça fait tout de suite plus dramatique qu’avec la couleur ; on s’attend à une histoire (c’est mon but). Et puis, c’est beau, non ?!
ARTicle : Vos photographies sont-elles numériques ou argentiques ?
N : Mes photos sont pour la plupart numériques, bien que la manière dont je travaille se rapproche plus de l'argentique. J'essaye un maximum de garder un contact avec la personne en face de moi. J'éteins mon écran pour ne pas couper le contact visuel qui m'unit à mon sujet. L'appareil ne doit pas être une barrière entre nous deux. Je ne prends pas plus d'une dizaine de photos en général et, c'est dans la boîte !
ARTicle : Quelles sont vos inspirations photographiques pour cette exposition ?
N : Je me suis inspiré des photos humanistes des premiers photo reporters entre les années 30 et 60 mais aussi du travail de Paolo Pellegrin, particulièrement de sa série "Postcards from America". Cependant, ses photos à lui sont prises sur le vif, nous rendant spectateurs invisibles à l’œil du sujet, tandis que pour mes clichés, le sujet nous regarde, s’expose volontairement et consciemment.
ARTicle : Les personnes que vous avez prises en photo sont-elles satisfaites de leur portrait ?
N : Les uns sont intrigués, d’autres plutôt satisfaits de l'image qu'ils renvoient. Certains restent silencieux, ils ne savent pas trop quoi en penser ou peut-être est-ce tout simplement de la pudeur.
L'expo "La gueule du métier" a lieu à l'IADT de Clermont-Ferrand du 17/05/19 au 31/05/19.
L'expo "La gueule du métier" a lieu à l'IADT de Clermont-Ferrand du 17/05/19 au 31/05/19.